Paris, mercredi 6 décembre 2017
C'est la Saint Nicolas. Gamins, nous mettions nos chaussures derrière la porte le 5 au soir et le 6 décembre, au réveil, nous trouvions des friandises, déposées par le Saint Nicolas, dans nos pantoufles...
Tôt, j'ai branché la France Inter. C'était vers 07:30, il parlait de Johnny, j'ai tout de suite compris. J'ai vu Johnny deux fois sur scène, à Genève en 1977 et 79.
Vers les onze heures je suis parti à l'aventure dans Paname.
Rue Oberkampf, Boulevard des Filles du Calvaire, rue Saint Claude, rue de Turenne, rue des Francs Bourgeois, Place des Vosges, rue de Bearn, rue Saint Gilles, rue Royal, rue de Thorigny, rue de La Perle, rue Vieille du Temple, et retour à la rue Oberkampf.
Le projet était de passer sur l'autre rive. Et puis j'ai été happé par la musée Picasso. Avant le musée, j'ai musardé Place des Vosges...
“Picasso 1932, année érotique”
En entrant dans le musée, je pensais, en ressortir une grande heure plus tard. Le billet indiquait 12:30, il était 16:00 quand je suis sorti, heureux, totalement conquis. Si je n'avais pas eu un horaire à tenir, je serai resté jusqu'à la fermeture.
Notes que j'ai prisent pendant la visite. Elle sont extraites de mon carnet de moleskine noir. Brut de décofrage:
[l'expo est sous forme d'un éphéméride de 1932. Toutes les oeuvres présentées sont de 1932. Je ne suis ni peintre, ni connaisseur des techniques, ni spécialiste de Picasso, juste un visiteur qui aime rêver en regardant des tableaux]
"L'oeuvre qu'on fait est une façon de tenir son journal"
Pablo Picasso 1932
Janvier
"La jeune fille à la mandoline"
Chaise avec dossier rectangulaire rouge, bordé de points jaunes
"La ceinture jaune" (Marie-Thérèse Walther)
Dossier de chaise rectangle rouge points jaunes
Quelle fut la réaction de Marie-Thérèse, maitresse du peintre, en voyant son portrait décomposé?
Peut-on rêver au milieu des oeuvres peintes par Picasso en 1932?
Les sièges des fauteuils ou des chaises sur lesquels sont assises des femmes déstructurées sont rouges parfois piqués de points jaunes
"Nature morte à la fenêtre", me plait. Le moule d'une tête de femme est placé sur un rectangle de bois. Trois fruits sur une assiette, peut-être des pommes. Un vase qui contient des feuilles de trèfle, un napperon, la fenêtre.
Le brun du rectangle de bois, un brun clair-foncé répond au vert sombre des trèfles. Ce bouquet aux feuilles éparses attire l'oeil. La tête de la femme est crayeuse, les traits qui dessinent son visage, sont noirs et minimalistes. Les fruits sont rouges et verts. Un rouge sombre, un vert pomme sombre également. Le vase, avec anse, l'assiette des pommes et le napperon ont chacun un blanc différent mais pas le même que la tête de la femme. La fenêtre est grise et opaque, comme un jour de décembre à Paris, un jour gris et froid. Un jour idéal pour s'enfermer dans une nature morte de Picasso.
Des chinois photographies tout. Un couple, jeune, anglais, se marre en découvrant ces toiles aux motifs colorés et aux personnages, des femmes, qui ressemblent à des dessins d'un enfants de 5 ans.
Je reste longtemps dans la salle où est accrochée la nature morte. Nous sommes en janvier 1932.
Je vais aller voir l'été.
"Femme assise dans un fauteuil rouge" janvier 1932
Certains aspects de ce tableau aux couleurs sombres me font penser à Magritte. Surtout la tête, une boule avec des trous.
Février
"L'Etude pour une joueuse de mandoline", février, indique les couleurs qui seront utilisées. On dirait une machine. Un robot des années 1930.
Nous sommes en février 1932, "Compotier avec guitare", me plonge dans le spleen. C'est des bruns, des gris très foncés. On imagine une table, un napperon, un compotier et une guitare. L'oeil se fixe sur un morceau de guitare brun clair avec 4 cordes noires. Le compotier est blanc. Les trois pommes de tout à l'heure, ont, ici, passé un mauvais quart d'heure, dans le traitement de la forme et de la couleur. Il faut plusieurs minutes pour que ce tableau se révèle.
Les gens passent à la sauvette. Je suis assis sur un banc au milieu de cette salle no 5, fin février, début mars. La nature morte "buste, coupe et palette" ne me tente pas. Le buste dégouline de vert foncé, le nombre de pommes est passé de 3 à 4 par rapport aux autres tableaux. C'est peut-être des oranges (un fruit rare à cette époque). Un napperon un peu plié avec des bleus gris est posé sur une table. On dirait un meuble Louis XIV, revisité. La palette flotte et le pinceau ressemble à un chalumeau, la palette ressemble, elle, à une noix de coco. Le chalumeau permet donc de boire le lait. (Photo 1 ci-dessous, cartes postale de l'expo)
Dans cette salle il y a également un plâtre, "Tête de femme", c'est le titre qui le dit...
Les visiteurs passent, photographie chaque oeuvre et filent à la salle suivante. Je ne comprends pas. Ils vont regarder l'expo à la maison, en photo.
La plupart des oeuvre sont exposées pour la première et dernière fois. C'est magique... Bref!!!
Je suis entré à 12:30, il est 13:50 et je n'ai vu que 5 salles!
Je quitte "Compotier et guitare", les chinois sont déjà repartis, ils sont dans un car, en route pour Bruxelles. Ils envoient des vidéos de l'expo en Chine. On a vu PICASSO.
"Nu dans un fauteuil noir", huile sur toile. Le noir du fauteuil remplace le rouge, on retrouve les feuilles de trèfle
(Photo 2 ci-dessous, cartes postale de l'expo)
"La femme au jardin", fer soudé et peint en blanc, reprend les feuilles de trèfle.
Toujours en mars, "Nu sur la plage", huile sur toile, est un prêt de la Scottisch National. Sous ce tableau, un petit sigle, un appareil de photo barré. Une interdiction inutile! Les visiteurs mitraillent... On ne peut donc pas photographier cette oeuvre osée, remarque taquine (Simple rainson de droits). Là, il faut du temps pour y voir clair. C'est ultra complexe. J'y reviendrai, si j'ai le temps.
La salle 7, outre le "Nu sur la plage", présente des nus couchés, des documents, et des peintures de Boisgeloup. C'est des interprétations psychédéliques de la femme, que ces nus couchés.
Mai, le mois de mon anniversaire. Encore Boisgeloup, ici sous la pluie et arc-en-ciel.
Juin, l'Été, le bel été
C'est la déprime. Des nus couchés. On dirait, parfois, des calamars ou des poulpes. Les couleurs sont moyennement estivales.
Des lettres de Michel Leiris (1901-1990), adressées à Picasso, décrivent son voyage en Afrique en 1932. Elles sont éparpillées dans les salles.
Juillet
"Femme nue dans un fauteuil rouge", on retrouve sur le fauteuil les points jaunes qui sont, ici, blancs. Le tableau est assez érotique.
La salle 11, présente des documents sur la première rétrospective de Picasso qui s'est tenue du 16/06 au 31/07 1932
5 tableau, un bronze et une sculpture évoque la scénographie de cette rétrospective des galeries Georges Petit.
Août
"Nageuse", huile sur toile. Une vague cache une partie des seins de la nageuse. Ce sont des ronds avec un point au milieu. Ils sont placé au bas du corps. Les couleurs sont assez estivales. Elle est coiffée d'un bonnet rouge.
"La Sieste"
Une femme couchée, elle est mauve, nue, elle a les jambes croisées, la tête renversée en arrière. On voit un peu de ses cheveux. Elle est couchée sur l'herbe. Le corps est lascif. C'est déstructuré de façon harmonieuse comme un trompe l'oeil. On voit les fesses, les seins, le pubis.
La plupart de visiteurs, ils passent si rapidement devant cette merveille, qu'ils ne voient pas l'érotisme brûlant qui se dégage de cette toile.
Septembre, il est 15:00
"Nu couché et joueur de flûte", encre de Chine, gouache et huile sur papier.
Le jouer de flûte est assis, appuyé contre un arbre, la femme est allongée à côté. Il sont nus les deux. Le décor est coloré dans les verts et gris. C'est d'une facture assez classique, mais assez chaud, dans le sens érotique du terme.
Dans cette même salle, la 13, est présenté une importante documentation d'une rétrospective, reprise avec une légère modification de celle de Petit, à Zurich, au Kunsthaus.
Salle 14
Octobre - novembre - décembre
"Femme assise près de la fenêtre", huile sur toile, octobre
La chaise est noire. Un morceau de son vêtement est rouge.
"Le sauvetage", huile sur toile, novembre
C'est une toile qui intrigue. Il y a une femme debout, avec des seins, des ballons rouges, situés à la base du cou, un nombril sous les bras. Elle est nue. Elle a la peau violine. Ses fesses, vues de profil, avec son corps de face lui donne un air trapu. D'une main, elle soulève le corps d'une autre femme qui à l'air dans les vapes.
Une autre femme s'enfonce dans la vase, au bas du tableau. On ne voit plus que la tête et les bras qui appellent au secours.
L'arrière plan est un pré vert foncé avec des fleurs blanches. Au premier abord, je ne comprenait rien. Maintenant tout est limpide. La scène de sauvetage se passe en silence. Une seule des deux femmes pourra être sauvée. Il est trop tard. Les trois visages se ressemblent. Est-ce la même femme? Sa vie, sa mort? Elle n'a pas en envie de mourir. Chacun doit prendre soin de soi et aider les autres. Utopie.
Le tableau est sombre sur tous les plans, les couleurs, l'esthétique et la poésie qui s'en dégage. On pourrait associé à ce tableau une musique de Schubert.
Je vais quitter ce tableau à regret. J'avais toujours pensé que les oeuvres de Picasso ne me faisaient pas rêver. En entrant dans la 1ère salle j'y songeais encore. Il faut plusieurs minutes pour être en phase avec les tableaux. Pour la première fois, je rêvasse en regardant les peintures de Picasso.
Les chinois ont passé en coup de vent, photographiant chaque toile, ils n'étaient d'ailleurs pas les seuls. Il y avait une frénésie de pixels. Un monsieur écrivait ses impressions sur son bloc note électronique. Une femme, habillée et structurée, écrivait, comme moi, sur un carnet papier.
Adieu femme violine...
Salle 15, décembre
L'année s'achève avec des couleurs hivernales, assez joyeuses.
"Nu couché à la mèche blonde"
Les notes se terminent là.
C'est rare de pouvoir circuler dans une expo avec peu de monde et de pouvoir prendre le temps de regarder longuement les tableaux.
Je suis ivre, sous le choc, tant de folies picturales. Le retour à pied, dans le froid et la grisaille me permet de reprendre pied dans la réalité.
Le choix du titre de l 'expo est, même si cela paraît osé, justement choisi. C'est un érotisme puissant pour qui regarde vraiment.
Le soir, autre registre, théâtre avec deux pièces , "12 hommes en colère " et "Les jumeaux vénitiens" de Goldoni au théâtre Hébertot. Une soirée réussie.