Le temps des fleurs - Quoi de neuf dans le village des vacances de mon enfance ? Un devoir du lundi, un !
La consigne
163e devoir de Lakevio du Goût
Je ne résiste pas à l’envie de vous montrer cette toile de Matteo Massagrande.
J’aime ce peintre que j’aime à voir comme « le peintre de l’abandon ».
Cette toile évoque-t-elle quelque chose pour vous ?
Suscite-t-elle quelque envie de voyage ?
Quelque souvenir ?
On devrait grâce à vous, en savoir plus lundi…
Le Goût habite ICI
La maison aux allures italiennes se dressait sous un ciel gris de fin de printemps ; une ruine sans portes ni fenêtres entourée de multiples jardins séparés par des murets surmontés de barrières en fer avec des portails permettant le passage d’un espace à l’autre.
La végétation avait tout envahi. L’endroit ressemblait à Ankor Vat avant les fouilles. Dans cette jungle se mouvaient des arpenteurs, des architectes, des décorateurs, des électriciens, des ébénistes, des tapissiers, des plombiers («Qui c’est ? C’est le plombier !»), des maçons, des vitriers et sans doute sous l’épaisse couche de végétaux quelques ratonnes laveuses, sans oublier Barbara, la belle Barbara toute de rose vêtue. De sa voix de stentor elle demandait de l’aide. Un mûrier particulièrement agressif s’en était pris à sa robe en soie rose bonbon.
Tous ces métiers en relation de près ou de loin avec l’immobilier, la construction et la démolition, mesurent, arpentent, prennent des notes pour présenter un devis qui permettra à la pierre de se relever.
Chaussé d’une élégante paire d’espadrilles «Easy Summer Slip On» de la marque du styliste américain Tommy Hilfiger, en toile rouge avec une doublure en textile, semelles en caoutchouc à talon plat, des chaussures estivales totalement inadaptées à la situation d’un urbex en campagne, le mari de Barbara se tenait devant la ruine et contemplait la mer.
Un quidam qui promenait son spleen sur le chemin, se porta à hauteur de voix de l'homme à la chaussure rouge*. Une conversation s’engagea.
- Vous êtes le nouveau propriétaire ?
- Une affaire, croyez-moi.
- Un tas de cailloux.
- Mais une situation exceptionnelle, cette vue sur la mer...
Le quidam se retourna pour contempler la vue et ricana bien haut.
- La mer peinte sur le mur d’enceinte de la centrale atomique, quelle dinguerie à trois cents kilomètres de la Grande Bleue.
Le mari de Barbara s’était figé net dans une posture indécise, rire ou pleurer. Il eut l’étrange impression de s’être fait rouler par un agent immobilier peu scrupuleux.
Son téléphone couina. Son secrétaire l’informait que sa paire de lunettes, égarée depuis quinze jours, avait été retrouvée.
Lignières
Entre deux séances de désherbage
28 mai 2023
*L'Homme à la chaussure rouge (titre original : The Man with One Red Shoe) film américain réalisé par Stan Dragoti, sorti en 1985. Il s'agit du remake du Grand Blond avec une chaussure noire réalisé par Yves Robert en 1972.
Le temps des fleurs - Requiem pour une Ford Galaxie
160e devoir de Lakevio du Goût
La consigne :
Mes chéris, ce devoir est le dernier que je vous propose.
Je vous aurai proposé cent-soixante devoirs !
Pensez que je me suis mis dans l’idée de vous soumettre le premier de ces devoirs le 9 juillet 2019 quand Lakevio en a abandonné l’idée.
Le sujet de ce dernier devoir est triste.
D’abord parce qu’il est question d'une perte évidemment.
Mais surtout parce que c’est la mort d’un symbole.
La dame que vous voyez sur la photo est retournée « ad patres » hier, dans un silence quasi général.
Celle qui remplit, involontairement j’en suis sûr, les rêves de tous les ados des années soixante a tiré sa révérence.
Si vous vous racontiez ce que vous auriez dit de cette dame lors de la dernière cérémonie à laquelle est assistera…
Si une lectrice chérie ou un lecteur non moins chéri voulait prendre la suite, ce serait sympa et je me plierais volontiers à cette discipline car je ne souhaite pas du tout abandonner ce blog que je squatte depuis 2003 avec une infidélité à une autre plateforme jusqu'en 2006.
Dernière ligne droite avant le lancement de Space X !
Une Ford Galaxie roule sur une route longeant le lac de Thoune. Elle file dans la belle lumière du soir. À son bord, un pilote et sa cartomancienne, la cousine de Bette. Elle tire les cartes routières d’un sac en toile de jute et trace les plans du voyage dans les marcs de café qui stagnent au fond d’une tasse estampillée «Adriano’s bar».
Une photographie coincée entre les cartes routières attire l’attention du pilote. « C’est qui cette meuf ? » « Regarde la route » lui suggère la cousine de Bette. Un éléphant rose qui stagne sur la route est évité de justesse par le bolide.
Le pilote et sa cartomancienne écoute la bande FM, le courrier du cœur occupe l’antenne.
«Elle est de quelle couleur la Ford Galaxie ? » demande un auditeur du courrier du cœur.
«C’est qui cette meuf, tu ne m’as pas répondu. On dirait une photographie des années 60 du siècle passé ! » « Regarde la route » se fâche la cousine de Bette. Une mini presque à l’arrêt forme le bouchon d’une longue file de voitures millésimées 2014, un cru qui ne figure pas dans la nouvelle édition de Robert Parker.
« C’est qui Robert Parker ?» demande un auditeur du courrier du cœur.
Robert Parker guide les œnologues. La Ford Galaxie est bicolore, blanche sur le dessus et vert émeraude sur les côtés, c’est une voiture américaine, modèle 1959. On distingue, sur la photographie en noir et blanc, Mary Quant. La RTS (Radio Télévision Suisse) a publié un article vendredi qui commence ainsi « La styliste britannique Mary Quant, qui a révolutionné la mode en popularisant la minijupe, est décédée jeudi à l'âge de 93 ans. Elle avait ouvert en 1955 sa première boutique, « Bazaar », dans le quartier de Chelsea alors en pleine ébullition. » Fin de citation.
À bord de la Ford Galaxie, le moteur ronronne, le pilote se laisse guider par le hasard, la cartomancienne, assoupie, rêve en couleur. Elle rêve qu’elle est sur un grand bateau blanc. Les auditeurs du courrier du cœur susurrent des mots, des mots d’amour au microphone.
Quand la grande aiguille rejoint la petite sur midi, la montre bracelet du gardien du phare des Baleines indique qu’il est minuit, l’heure des informations sur la bande FM.
Pendant le générique du journal parlé, les rares auditeurs encore à l’écoute s’attendent à ce que la voix monocorde du journaliste lise une liste interminable de guerres, de tremblements de terre, d’une éruption volcanique perturbant le trafic des aéronefs ou de confiture d’orange amer étalée sur «le déjeuner sur l’herbe» pour protester contre l’indolence des politiciens qui occultent le réchauffement climatique provoqué par les vaches affalées dans les prés, qui ruminent paisiblement des idées noires.
PUB :
«24 heures sur 24, la vie serait bien dure si l'on n'avait pas le Pop Club, avec José Artur.» chantent les Parisiennes.
ANNONCE :
« Le premier accroc coûte 200 francs », je répète « Le premier accroc coûte 200 francs ».
Le journaliste ouvre le journal parlé avec une nouvelle inédite, un imprévu, un coup de tonnerre dans le ciel bleu d’une journée sans anicroches particulières. Cette nouvelle stupéfiante pourrait mettre en faillite les derniers fabricants de plumes, ces plumes munies d’un réservoir rempli d’encre et qui grattent la feuille blanche. Cette nouvelle qui déchire la mi-nuit pourrait mettre sur la paille des créatrices et des créateurs. Le monde politique et celui des affaires sont en ébullition. Il faut éviter une crise mondiale du dernier carré de la liberté d’expression. Déjà, les Chinois, tel des vautours, s’intéressent à la reprise du concept.
Cette nouvelle qui bouleverse la marche du monde est lue d’une voix monocorde par le journaliste du journal parlé :
«Mes chéris, ce devoir est le dernier que je vous propose.
Je vous aurai proposé cent-soixante devoirs !
Pensez que je me suis mis dans l’idée de vous soumettre le premier de ces devoirs le 9 juillet 2019 quand Lakevio en a abandonné l’idée. » Fin de citation.
Sans un rictus d’amertume, sans l’ombre d’une larme qui coulerait sur un visage buriné et connu du tout Majorque, où il a ses entrées, sans un tremblement de la voix, le journaliste récite l’information sur un ton monocorde. Des grésillements empêchent d’entendre la suite. Ce brouillage passager est émis par radio Caroline, 199 mètres OM (1485/1520 kHz), qui tente une résurrection depuis le vapeur « Blümlisalp » ancré dans les eaux internationales du lac de Thoune. Seule la fin du communiqué de presse est audible, « Si une lectrice chérie ou un lecteur non moins chéri voulait prendre la suite, ce serait sympa et je me plierais volontiers à cette discipline, car je ne souhaite pas du tout abandonner ce blog que je squatte depuis 2003 avec une infidélité à une autre plateforme jusqu’en 2006. » Fin de citation.
« Zut ! » lâche le pilote. Il venait d’allumer une Gauloise bleue sans filtre, d’aspirer une longue bouffée de fumée. Juste avant d’expirer ces vapeurs de nicotine, de tabac brut et de produits non déclarés sur le paquet de clopes, au moment où les poumons gorgés de fumée emplissent le cerveau d’un plaisir intense, le journal avait parlé. Il avait recraché la fumée rapidement, une tirée pour rien.
La Ford Galaxie s’ennuie sur une aire d’autoroute à l’aspect fantomatique, il est minuit. Le pilote est appuyé contre la portière et la cartomancienne s’est allongée sur le capot.
« Tu connais ce mec ? » demande la cartomancienne. Le pilote allume une nouvelle Gauloise. Il avait jeté la précédente, pratiquement intacte, mais totalement gâchée par cette nouvelle surprenante, sortie du poste à galène. Il aspira la fumée, et s’en gargarisa longuement avant de répondre à la question. «C’est le Goût-des-autres, un blogueur émérite qui propose un devoir le vendredi. Il faut rendre la copie le lundi.» La cartomancienne tira une carte routière de son sac. « Il est aussi minuit dans la Creuse» lança-t-elle en dépliant ce coin de France.
La Ford Galaxie, construite au mitan du siècle passé, est dépourvue d’écran. Il est indispensable d’embarquer un sac en toile de jute débordant de cartes routières.
« Chéri, tu pourrais reprendre le devoir du lundi, ce serait sympa »hasarde la cousine de Bette. Le pilote ne répond pas, absorbé dans l’allumage de l’avant-dernière cigarette. Il tente le jeu des ronds de fumée, réussir à faire passer un petit rond dans un grand rond.
Comme dirait Catherine, une amie de longue date, « c’est la dèche ». Il reste une Gauloise dans le paquet qui tout à l’heure sera chiffonné et jeté par la vitre entrouverte de la Galaxie glissant sur une route déserte éclairé par une lune gibbeuse. Il reste un sandwich et un filet d’eau dans une bouteille en verre vert. Le restoroute est fermé. La station essence est ouverte, il est temps d’abreuver la Ford Galaxie.
Après avoir renseigné un étrange équipage, le pilote et la cartomancienne ont repris la route. Un cheval blanc, d’une maigreur épouvantable s’était arrêté à leur hauteur. Il était suivi par un âne que montait un homme de forte corpulence qui ronflait bruyamment. Le cavalier maigre comme son cheval, vêtu d’une armure bricolée avec des boîtes de conserve, tenant une longue pique en bois, demanda de manière courtoise, « Madame la cousine de Bette, pouvez-vous me renseigner, y a-t-il des moulins quelque part ? « Un instant ! » répliqua-t-elle en plongeant un bras ganté de noir dans le sac en toile de jute. Elle extirpa la carte de La Manche, région historique située au cœur de l’Espagne, pointa son doigt sur un tout petit moulin dessiné dans un coin de la carte. L’équipage avait disparu sans bruit. Un mirage.
Le ronronnement de la Ford Galaxie, le paysage blafard éclairé par la gibbeuse provoquent dans le cerveau de la cartomancienne une cascade de trouvailles. « Si on organisait une méga teuf, le devoir du lundi en folie, tous en minijupe, chéries et chéris, ce serait un bel hommage à Mary »
« On mettra à donf les Beatles, on projetera sur le mur de la maison le film Kes de Ken Loach » dit le pilote. « Et aussi Deep End de Jerzy Skolimowski » ajouta la cousine de Bette.
Plus tard, bien plus tard, dans une belle lumière matinale, la Ford Galaxie sillonne les rues d’une petite ville. Le pilote et la cousine de Bette cherchent une boîte aux lettres afin d’y jeter une carte postale affranchie avec un timbre à l’effigie du Petit Prince. La photographie affichée sur la carte représente une scène printanière, saison du renouveau, un champ de cerisiers couverts de fleurs blanches. Avant que la carte ne disparaisse dans la bouche de la boîte, on a le temps de lire ceci :
Merci pour tout Monsieur le Goût
Gros bec à Heure Bleue
Le pilote et la cousine de Bette
STOP STOP STOP
Bonjour
1er devoir de Lakevio du Goût de ChatGPT (Chat Generative Pre-trained Transformer)
A partir de ce vendredi le devoir du lundi sera totalement automatisé. Le vendredi et Le lundi à 6 heures du matin vous recevrez sur votre montre connectée : La présentation du devoir, le texte de présentation, les textes des participants ainsi que les commentaires, le tout généré par ChatGPT. Vous n’aurez plus à vous tracasser d’un manque de temps ou d’imagination, ChatGPT a pris le contrôle de vos cerveaux et du devoir du lundi !
Les mois d'hiver - Il a neigé cette nuit dans le petit village dans les montagnes, mais là-bas les étés sont brûlants...
149e devoir de Lakevio du Goût
Cette toile de Marc Chalme me dit quelque chose.
Elle me rappelle une histoire, triviale certes mais une histoire.
Et à vous ?
J’aimerais que cette histoire commençât par « Mais qu'allait-elle faire là-bas ? ».
J’aimerais aussi qu’elle se terminât aussi par « J’en retirai le soulagement espéré… »
Ne cherchez pas dans votre bibliothèque ou sur Internet, ces deux phrases plates mais courantes sont de votre serviteur.
À lundi j’espère.
« Mais qu'allait-elle faire là-bas ? »
Pieds nus, vêtue d’une robe verte, un vert qui oscille entre le vert émeraude et le vert suédois, cheveux mi-long qui tombent sur les épaules, Line scrute la forêt qui jouxte le parc.
Une plate-bande intégrée aux dalles en granite noir qui forment le sol du rez-de-chaussée de la bâtisse, où poussent des hostas, marque le passage entre le patio et le parc. Line quitte le patio par le côté jardin.
Le patio juste tiédi par les journées d’un été brûlant, désert et presque vide respire le silence. Un tapis persan, une table basse et un olivier en pot meublent cette pièce ouverte sur le jardin par une arche aux murs épais.
Une tasse et un ordinateur posés sur la table basse sont les seuls signes d’une présence humaine récente. Le café dans la tasse est tiède, l’ordinateur vient de mettre l’écran en mode pause.
Presque imperceptible le moteur d’une voiture qui longe le chemin en bordure du parc est couvert par les cris d’un corbeau freux.
Un jeune homme vêtu d’une paire de bottes noires, d’un jeans et d’une veste en cuir entre dans le patio par le côté cour. Il doit avoir une vingtaine d’année. Discrètement il vérifie si son couteau est en place dans sa botte gauche. Il braconne parfois.
Un léger cliquetis, il se retourne brusquement.
« Mais… »
La phrase reste en suspens, le coup part. Frappé en pleine poitrine, il est projeté en arrière par la violence de l’impact. Il est comme cloué au mur. Line pose le fusil sur la table basse. Elle ramasse les clefs de voiture échappées des mains du jeune homme.
Elle boit le café tiède en grimaçant, embarque la tasse, l’ordinateur et le fusil. Elle récupère ses chaussures derrière l’olivier en pot.
Juste avant de s’écrouler sur le granit noir, le jeune homme murmure une phrase mystérieuse, couverte par le moteur d’une Ford Galaxie qui démarre en trombe,
« J’en retirai le soulagement espéré… »
Les mois d'hiver - Il a neigé cette nuit dans le petit village dans les montagnes
145e devoir de Lakevio du Goût
Consigne :
J’aime la façon dont Mark Keller use pour nous faire comprendre que les choses ne se passent pas toujours comme prévu…
Mais vous ?
Que pensez-vous qu’il nous dise là ?
On en saura peut-être plus lundi.
Du moins je l’espère…
Yves
Je connais Yves depuis l’école primaire. Nous avons passé quatre années scolaires à nous côtoyer. Nous nous sommes revus quarante ans plus tard. Un de nos camarade avait réussi à réunir la classe entière le temps d’une soirée. Seize ans se sont écoulés depuis cette soirée, et, dans cette auberge baignée par l’océan, plantée au milieu de nulle part, où je passe une nuit, je reconnais Yves qui mange seul à une table, comme moi. Nous avons passé un bout de soirée à bavarder. Une conversation neutre, les souvenirs communs sont si diffus et lointains que la conversation s’égrène de banalités.
Ce matin avant de quitter l’auberge je suis passé dans la salle du petit déjeuner pour prendre congé d’Yves. Rien n’indique que nous nous reverrons un jour.
Yves est assis au bout d’une longue table. La tête appuyée contre ses mains, il a l’air sombre. Il sera sombre, renfermé et grognon tant qu’il n’aura pas avalé un premier café. Devant lui sont disposés un panier en osier tressé rempli de croissants, une motte de beurre à la crème crue et un pot de confiture aux abricots, l’inégalable confiture « Marillen aus dem Weinviertel » produite tout à l’est de l’Autriche. Le café déposé par le serveur détend les traits du visage et Yves ne tarde pas à en commander un second. Il a posé sa guitare devant un sucrier, un poivrier et une salière. Ces éléments en verre à fermetures métallique marquent le milieu de la table.
À l’autre bout de la table, un jeune couple tente, comme Yves, d’émerger des limbes du sommeil. Ils ont la gueule de bois. Ils sont rentrés de la ville voisine au petit matin. En regagnant leur chambre à grand fracas, ils ont réveillé les occupants des trois autres chambres. Ils en sont à leur troisième café et essayent d’organiser la journée. Ils passeront vraisemblablement cette journée de beau temps enfermés dans leur chambre, volets clos.
À travers les fenêtres à croisillons de la salle du petit déjeuner on voit la plage et l’océan. La marée est descendante. On voit aussi Lise de dos. Cette jeune fille, vêtue d’une jupe et d’un chandail de couleur bleu pastel, fixe l’horizon. Elle passe quelques jours dans cette auberge pour apprendre un texte. Dans deux mois elle sera sur scène, jouant dans un classique du répertoire français.
Un client est entré dans la salle du petit déjeuner et à commander une bière. Il a garé sa voiture à côté de celle d’Yves. Il est de passage. Il doit avoir une vingtaine d’années. Il regarde dans le vide. Il est vêtu d’une paire de bottes noires, d’un jeans et d’une veste en cuir. Discrètement il vérifie si son couteau est en place dans sa botte gauche. Il braconne parfois.
Le jeune couple a finalement décidé de faire une promenade le long de la côte. Le serveur affalé dans l’office, yeux rivés sur l’écran de son téléphone, joue à un jeu virtuel. Le client s’est dirigé vers les toilettes. Lise songe à regagner sa chambre. Yves est parti en voiture à la recherche d’un coin de plage tranquille pour mettre au point une chanson qui figurera sur son prochain album.
Lise est surprise, elle pensait en entrant dans sa chambre avoir fermé la porte à clé.
La lame du couteau sortie de la botte, le corps de Lise qui s’affale sur la moquette, la clé tombée ramassée par une main gantée, la porte de la chambre refermée, la clé remise sur le porte-clés des chambres à la réception, trois minutes de temps suspendu brouillé par le moteur d’une Ford Galaxie qui démarre en trombe.
Il automne - Deux devoirs du lundi pour un !
141e devoir de Lakevio du Goût
La consigne :
Évidemment, cette toile de Thierry Duval me rappelle quelque chose.
Mais à vous ?
Rappelle-t-elle quelque chose qui commencerait par « La joie venait toujours après la peine ».
Et si en plus votre récit se clôt sur « Pendant quelques heures, nous posséderons le silence, sinon le repos. Enfin ! » ce sera parfait.
À vous de jouer !
À lundi.
Le décor de l'histoire qui va suivre est inspiré d'une toile d'Edward Hopper. Toile proposée pour le 140e devoir de Lakevio de Goût.
LA MAISON VIDE
« La joie venait toujours après la peine », la voix d’Appolinaire sortait de deux écouteurs antiques datant des année 1940. Ils étaient branchés sur un petit poste à galène. Guillaume dit un de ses poèmes, il parle dans un pavillon et ses vers sont gravés dans les sillons d’un disque phonographique couvert de gomme-laque noire, qui tourne à environ 78 tours par minute. Le poème parle d’un pont, de la Seine qui coule sous des amours, de Marie Laurencin, d’Honoré-Gabriel Riquetti de Mirabeau.
La maison est vide, silencieuse ; seule la voix du poète comme venue d’outre-tombe se dilue dans l’espace. Un trou dans l’un des sillons empêche l’aiguille du gramophone d’avancer, elle est rejetée sans cesse et « La joie venait toujours après la peine, la joie venait toujours après la peine, la joie venait toujours après la peine, la joie venait toujours après la peine » se duplique à l’infini.
La maison, dessinée par un architecte avant-gardiste, composée d’un seul niveau, construite sur un promontoire à quelques mètres au-dessus des eaux méditerranéennes, offre au regard, depuis le vestibule, une vue sur l’ensemble des pièces agencées en enfilade. Le toit plat de cette maison, rectangle de béton, aménagé en terrasse, accessible depuis l’extérieur par un escalier à vis, théâtre de folles réceptions, désert depuis des décennies, muré dans un silence juste bercé par le clapotis des vagues, se désagrége lentement par une conjugaison des embruns salins et des pluies d’automne.
Cette maison ressemble à celle que l’on voit dans le film « Le mépris » mais sans Brigitte, sans Michel ni Jean-Luc, l’ombre de Fritz Lang ou de celle de Jack Palance sont absentes et pas une trace de paparazzis qui traqueraient le moindre fait et geste de cette maison fantôme.
Personne non plus pour remettre à l’ordre le gramophone, « La joie venait toujours après la peine, la joie venait toujours après la peine, la joie venait toujours après la peine, la joie venait toujours après la peine »
La lune a rassemblé ses quartiers, pleine, elle jette ses lueurs blafardes sur la mer, les rochers rouges et le béton de la maison. Il est presque une heure du matin.
La clarté lunaire entre par de larges baies vitrées donnant sur la mer. Clarté qui meurt sur le sol des pièces, où alternent le parquet, le sol en béton peint en couleur vive ou un sol en plancher recouvert d’un épais tapis. L’épaisseur du tapis amorti « le roulement de quelques fiacres attardés et éreintés » qui traversent la ville.
Depuis le vestibule, on distingue dans la pièce voisine l’amorce d’un tableau. Cette pièce est meublée d’une crédence et d’un canapé tapissé d’une étoffe rouge carmin. Le tableau qui orne cette pièce, peint par Thierry Duval, est accroché à l’endroit. « New York City 1 » réalisé en 1941, par le peintre néerlandais abstrait Piet Mondrian, est accroché à l’envers depuis septante-sept ans.
Le tableau de Duval que survolent des mouettes est un morceau de Paris. On voit des ponts, la Seine dans laquelle se diluent des amours, le Louvre, on n’y voit pas de voitures hippomobiles, mais de bruyantes berlines à pot catalytique. Il n’est pas encore une heure du matin et le bruit empêche la concentration. Concentration requise pour écrire un poème, « La joie venait toujours après la peine, la joie venait toujours après la peine, la joie venait toujours après la peine, la joie venait toujours après la peine ».
La porte vitrée du vestibule est ouverte. Un escalier taillé dans la roche, perpendiculaire à la maison, descend jusqu’à la mer. Des serviettes de bain, décolorées par le soleil, abimées par le vent, attendent depuis longtemps le retour d’un, deux, des, nul ne le sait, baigneurs. Un indice, une voix, « La joie venait toujours après la peine, la joie venait toujours après la peine, la joie venait toujours après la peine, la joie venait toujours après la peine »
Un autre indice, dans la cuisine, la planche à pain sur laquelle sont gravés ces mots :« Pendant quelques heures, nous posséderons le silence, sinon le repos. Enfin ! »
C’est un document radiophonique exceptionnel, enregistré entre 1911 et 1914. Le son, certes lointain, donne à entendre la voix de Guillaume Apollinaire lui-même lisant "Le Pont Mirabeau".
Il automne - le dernier train pour gun hill
139e devoir de Lakevio du Goût
D’après vous, qu’est-ce qui m’a poussé, à voir cette toile, à vous proposer un devoir ?
Oui, comme la semaine dernière, c’est une toile d’Émile Friant.
Celle-ci m’a particulièrement interpellé.
Pourquoi ?
Je vous le dirai lundi.
Mais vous ? Que vous a-t-elle inspiré ?
Ce qui serait vraiment bien, c’est que vous commenciez votre explication par :
« J’arrive tout couvert encore de rosée »
Et que vous la finissiez par :
« Ne le déchirez pas avec vos deux mains blanches. »
Acouphène
« J’arrive tout couvert encore de rosée », dit à mi-voix la jeune femme assise à côté de moi. Elle lit un livre. J’ai pris le train à F. J’ai trouvé une place sur une banquette entre un barbu et une jeune femme à chapeau. Le train est bondé. En face de moi, la banquette est arrondie et une petite table en métal permet d’y déposer un gobelet en carton rempli de mauvais café ou d’y laisser choir son sac. Il est occupé par une trentenaire, avachie sur la table. Elle a rassemblé ses affaires pour laisser une place à trois jeunes, un garçon et une fille. Ce sont des étudiants qui sont montés, comme moi, à F. La trentenaire, aux cheveux filasseux, de temps en temps, pêche une bouteille dans son sac. C’est une bouteille de vin blanc. Un millésime bouché par une capsule métallique. Elle boit à même le goulot de grande rasade d’un vin italien acheté dans un magasin pratiquant des ristournes. Son téléphone ne cesse de sonner.
« Michel, allô ! Michel, Je ne t’entends pas ». Elle essaye de rappeler, en vain, le téléphone resonne. « Michel ? oui, Michel, allô Michel ». Elle regarde son téléphone, attrape la bouteille de blanc, boit une rasade.
Les étudiants bavardent. Le jeune a posé son téléphone sur la table. La trentenaire le saisi et dit « Merci » puis ajoute en le reposant, « Non, je rigole ! »
Les étudiants échangent leurs impressions sur les cours qui viennent de commencer. Le jeune s’aperçoit en tripotant son téléphone, que son billet, dématérialisé, juste illustré par un code QR, ne correspond pas au train dans lequel il a pris place.
La jeune femme à chapeau, assise à côté de moi semble mémoriser le texte qu’elle lit. Elle referme sans cesse le livre en se servant d’un doigt comme marque page. Ses lèvres bougent, remuent, parfois des bribes de l’œuvre arrivent aux oreilles des voyageurs. Mes yeux son rivés sur le livre. Je peux enfin lire le titre et l’auteur. Je suis stupéfait. Je possède un même exemplaire dans ma bibliothèque. C’est un livre imprimé par Kundig Genève (Suisse), pour le compte des Éditions de Cluny, 35 rue de la Seine, Paris VIe, le 37e ouvrage de la collection « bibliothèque classique de Cluny ». Il est sorti des presses suisses en novembre 1943. C’est un recueil de poèmes de Verlaine contenant « Romances sans paroles », « Dédicaces » et « Épigrammes ».
« Michel, Michel ? Allô, je n’entends rien » La bouteille en verre vert, contenant un vin fond de cuvée fait des cercles dans l’espace restreint du wagon.
La lectrice parfois replie son bras et pose la tête sur sa main droite. Elle a un regard mutin. Le chapeau qui coiffe ses cheveux coupés à la garçonne est en paille noircie piqué d’une plume et de fleurs artificielles. Avec sa chemise rose tirant sur le rouge, une veste bleu lagon foncé et son pardessus en laine de vigogne elle semble échappée d’une toile d’Émile Friant. Ce peintre, mort en 1932, est considéré comme le dernier naturaliste. Cette voyageuse lectrice peinte par Friant aurait pu être un tableau proposé par Le Goût pour un devoir du lundi. Il aurait demandé que le texte commençât et se terminât par deux vers extraits d’un poème de Verlaine, « Green ». C’est le poème que la jeune femme assise à côté de moi tente de mémoriser, poème que l’on trouve aussi dans « Anthologie de la Poésie française » de Georges Pompidou, anthologie dédiée à Claude, page 422 de l’édition du livre poche, dans « Anthologie de la poésie française » d’André Gide, page 622 de la bibliothèque de la Pléiade, juillet 2000. « Green » que l’on peut également lire dans « Anthologie des poètes français contemporains », page 374, Delagrave éditeur Paris 1918.
« Allô, Michel, Michel je ne t’entends pas, Michel », le contenu de la bouteille de vin blanc est presque évaporé.
Mon voisin barbu compose un numéro sur son téléphone. On apprendra au fil du voyage qu’il déménage, que tout s’est bien passé, que le camion est restitué et qu’il va rechercher sa voiture à B. Il conseille à X ou Y, nous n’avons aucune indication sur la personne qui est à l’autre bout de la 7G, de faire du bénévolat, pour avoir un objectif dans sa vie d’oisiveté.
Je me demande comment nous faisions au siècle passé, les téléphones étaient fixés au mur et le mot objectif n’était pas en vogue, pourtant nous avons fait de beaux quatre cents coups.
Le devoir du lundi est un atelier d’écriture virtuel proposé par Le Goût. La classe se déroule sur les blogs. C’est très intéressant, la page blanche est disponible à l’infini. Nous noircissons l’écran avec nos histoires, tout est possible, même l’improbable. Nous avons un terrain de jeu sans limite, il faut juste bien lire la consigne et respecter les délais. A la fin de la classe, on envoie notre copie au maitre.
Le train a du retard, un signal indiquant une porte mal fermée à L et le même signal à F. a retardé le train d’une vingtaine de minutes. Il roule à vive allure. Une vitesse excessive dans ces courbes qui s’enchaînent. Il fait nuit et le brouillard automnal rôde.
« Allô, Michel, Michel je ne t’entends pas, Michel », la bouteille de vin blanc vide est jetée dans le pied de la table qui fait office de poubelle.
La jeune femme à chapeau concentrée sur sa lecture ne semble pas posséder de téléphone. Mon voisin barbu, plongé dans la description de son déménagement, ne remarque pas l’ivresse de la trentenaire. Les étudiants babillent.
Soudain, le chaos et l’horreur s’invitent au voyage. La locomotive percute de plein fouet un train arrivant en face, un train mal aiguillé. Le choc est brutal. Dans un bruit d’enfer les wagons s’encastrent, se tordent, se disloquent. Je suis éjecté, une longue chute, je hurle. Mes hurlements me réveillent. Je suis dans mon lit, en sueur. Dans ma tête la voix de la jeune femme à chapeau, comme un acouphène, une phrase tourne en boucle dans mon crâne, « Ne le déchirez pas avec vos deux mains blanches. »
Il automne - Intox
137e devoir de Lakevio du Goût
La consigne :
Ce monsieur, peint par Jackie Knott semble…
Semble quoi ?
Il est d’un sérieux papal, soit.
Mais encore ?
J’espère qu’on en saura plus lundi, grâce à nos efforts communs pour lire sa pensée.
Fausse nouvelle
Deux allées en terre battue séparées par une plate-bande semée d’un gazon peu entretenu, une herbe folle partie à l’assaut d’une gouttière en cuivre, quelques plantes vertes dans des bacs en chêne des pierriers composent le décor d’un jardinet à l’esprit zen. Entouré de hauts bâtiments, un silence monacal s’échappe de cette oasis propice à l’introspection de l’âme. Un olivier crevotant et trois bancs complètent la scène. Les planches de ces bancs, couleur caca dauphin, sont fixées à des armatures en fer forgé terminées par des gueules de dragon.
Dans ce Gethsēmani d’un autre siècle, un oiseau picore la terre, méticuleusement, en quête d’une graine ou d’un ver. Curieux, comme tous les volatiles, son œil fixe une masse sombre sur un des bancs.
Si nous nous approchons de cette masse sombre, que l’oiseau tente de distinguer, nous verrons une silhouette humaine ; un homme assis sur un des bouts du banc du milieu. Jambes croisées, les mains occupées à tenir une liasse de feuillets, totalement immobile, il semble de marbre. Il pourrait avoir sa place dans le célèbre musée de cire de la ville.
Pantalon gris, chaussettes et chaussures noires, haut du corps enveloppé d’un imperméable gris-noir, il fixe ostensiblement ses feuillets. Une paire de lunettes montées sur deux cercles de fer forgé fixés à une paire de branches en chêne rouvre complète le portrait. Un chapeau mou, noir, cerclé d’un ruban de même couleur, rabattu sur les yeux, cache en partie le crâne rasé du lecteur statufié.
L’oiseau s’envole tenant dans son bec une branchette arrachée à l’olivier agonisant. Son plumage d’un blanc immaculé contraste avec la noirceur de l’homme assis sur le banc. La colombe regagne son colombier urbain. Le visage de l’homme n’a pas cillé.
Huit jours se sont écoulés depuis la lune des moissons et ces menus événements qui troublent la quiétude de ce jardinet.
Un léger déplacement d’air, provoqué par les pas rapides d’un inconnu qui se dirige vers la masse sombre, agite le feuillage rachitique de l’olivier. Il se penche et ses lèvres murmurent quelques mots à l’homme en noir. En relevant son buste, l’inconnu identifie sur la liasse de feuillets tenue fermement par ce qui semble être une personne déterminée, au visage dur et fermé, une graisse « Helvetica Neue 95 Black ». Ces caractères gras lui permettent de lire l’entête de la page : « Feuille de route ».
Sans montrer le moindre signe d’une émotion, le lecteur plie les feuillets en deux et les glissent dans une des poches de son imperméable. Il se lève et suit l’inconnu.
Un couloir obscur, une porte en chêne sessile sur laquelle est fixé un chiffre royal en fer forgé, l’homme en noir a retiré son chapeau en pénétrant sur une galerie en pierre. Cette galerie à trois mètres du sol située sur un des côtes d’une salle immense permet d’assister à un rituel qui marque la fin d’une époque.
L’homme en noir s’incline trois fois. Au milieu de cette salle, un cercueil en chêne d’Angleterre, drapé de l’étendard royal, repose sur un catafalque tendu de pourpre, entouré de chandeliers. La couronne d'État impériale posée sur un coussin violacé, le sceptre à la croix et l’orbe, ces regalia sont disposés sur le cercueil. Une couronne de fleurs blanches, mêlé de feuillage vert complète cette symbolique. Jour et nuit, des milliers de personnes défilent devant le catafalque pour rendre un dernier hommage à leur souveraine.
L’homme en noir disparaît dans une voiture grise. Assis à l’arrière de la berline sur un siège en cuir, il descend une tablette en chêne à trochets fixée au siège avant par un ingénieux système en fer forgé. Il y dépose la liasse de feuillets qu’il a retiré de sa poche.
Un oiseau, picore sur le tarmac d’un aéroport international, au pied d’un aéronef. Curieux, comme tous les volatiles, son œil fixe une masse sombre qui entre dans l’avion. Dans quelques minutes, cet avion, dans un bruit d’enfer, s’arrachera de la piste. Vladimir Vladimirovitch regagne les bords de la Moskova.
Il automne - Horacio Quinoga, auteur que je n'ai jamais lu, j'en très envie de lire « Contes d'amour, de folie et de mort » !
136ème devoir de Lakevio du Goût
« La consigne du Goût (ICI) »
Cette toile de Gustave Courbet dite C Jo la belle Irlandaise » me dit quelque chose.
Pas seulement parce que « Jo, la belle Irlandaise » a permis à Gustave Courbet quelques privautés.
Mais vous, qu’en avez-vous à dire ?
J’aimerais que cette note commençât par « À quoi Bon ? Enfin… Vous ne supposez pas que ce n’était pas en apparence ? »
Aussi qu’elle finît par « J’ai bien été le premier à vérifier l’exactitude de la chose, quand j’étais votre amour… en apparence. »
J’espère que vous aurez une histoire à raconter à partir de ces deux phrases tirées des « Contes d'amour, de folie et de mort » d’Horacio Quinoga.
À lundi…
La belle irlandaise
« À quoi Bon ? Enfin… Vous ne supposez pas que ce n’était pas en apparence ? » Son murmure était inaudible.
Assise devant une table qui lui sert de coiffeuse, elle parle à voix basse, en remuant à peine les lèvres. Elle regarde son reflet dans un petit miroir, qu’elle agite comme un éventail. Sa main libre triture ses cheveux. Le peu de clémence du climat a terni son abondante chevelure jadis belle et soyeuse, elle n’a pas vingt-cinq ans. Elle passe ses journées dans sa chambre, au premier étage d’une maison construite sur pilotis. Toutes les maisons du hameau sont surélevées pour échapper aux mygales et serpents qui infestent cet endroit, et, aussi, pour être à l’abri des inondations quand le fleuve déborde. Fleuve qui roule des eaux boueuses à plusieurs kilomètres de là. Des pluies diluviennes le gonfle parfois, il s’étire alors au-delà des maisons de ce bourg égaré au cœur de la jungle. La chaleur humide est accablante. Tout est moite. Le hameau ne reçoit pas de soleil. La canopée, où bruit une vie cachée, ressemble à un amas de nuages immobiles à jamais.
Assise devant sa coiffeuse, murmurant dans le vide, cette jeune femme à la crinière de lion, sort peu de sa chambre. Les habitant du bourg en parlant d’elle, disent « la folle », certains, les plus vieux, l’appellent, « la belle irlandaise ». Son grand-père, un Irlandais épris de vie sauvage, s’était installé dans ce hameau, alors prospère, au mitant du siècle passé. Le prénom de la jeune femme, oublié par les gens est parfois prononcé par son père. Le seul témoignage de sa mère se lit sur une stèle clouée au pied d’un arbre. La mousse efface peu à peu le souvenir de cette mère morte depuis longtemps. Égarée dans le dédale inextricable de la jungle les appels au secours, furent vains. On retrouva le corps de la mère à moitié dévoré par des fourmis.
Agitant son miroir, elle a quitté sa chambre en entendant une galopade. Son prince arrivait. Au bas de l’escalier, elle ne prit pas garde, pressée, elle n’avait pas chaussé de bottes, elle était en chemise de nuit. La galopade était une chimère, la vipère ne l’était pas. Elle sentit à peine la morsure au bas de sa jambe, deux marques d’où s’échappaient un filet de sang. Elle remonta dans sa chambre. Une douleur vive atteignit son mollet. Son père absent, personne pour faire un garrot au-dessus de la blessure. Elle remua des lèvres de plus belle. Des gouttes de sueur perlaient sur son visage. La douleur paralysait sa jambe. La porte de sa chambre s’ouvrit enfin. Elle se retourna, se leva et étreignit son prince, qui se tenait debout sur le pas de la porte. Ses bras saisir le vide, la maison était déserte, et elle s’affaissa sur le sol. Elle crut entendre son bien aimé lui murmurer une phrase mystérieuse « J’ai bien été le premier à vérifier l’exactitude de la chose, quand j’étais votre amour… en apparence. »
L'été de tous les dangers - 134e devoir de Lakevio du Goût
134ème devoir de Lakevio du Goût
Encore une histoire de porte.
Celles qui donnent sur de nouveaux mondes.
Celles qui donnent sur des mondes anciens.
Ce qui serait chouette, c’est que vous réussissiez à y mettre les mots.
- Attirer.
- Affoler.
- Effrayer.
- Fermer.
- Ouvrir.
- Trouver.
- Aimer.
- Perdre.
- Mourir.
- Noyer.
Peu importe le temps, le mode, où que ces verbes soient usés de façon pronominale ou non.
À lundi j’espère…
Note
Merci M. Le Goût d’avoir choisi pour ce 134e devoir une toile torride, qui frise, pour ceux qui ne fréquentent pas les alcôves secrètes du musée d’Orsay, l’indécence.
Préambule
Le dernier devoir de l’année, en début juillet, a remonté ma moyenne de plusieurs points. Julie m’a accordé un 19/20. Je passe dans la classe des grands à la rentrée.
L’ORIGINE DU MONDE
La pièce est silencieuse, baignée d’un rayon de soleil qui se fraye un passage par la fenêtre. Une fenêtre qui donne sur une cour. Une cour sombre, au milieu de laquelle est planté un buddleia de David (Buddleja davidii) aussi appelé buddleia du père David. Il végète au fond de ce puit de six étages. Le soleil lèche son feuillage lorsqu’il atteint le zénith de sa trajectoire estivale. Personne ne remarque cet instant magique. Les habitants qui ont vue sur cour sont allongés sur des serviettes de bain au bord de plages lacustres dans la fournaise de l’été. Cet arbuste originaire de Chine est juste bon à attirer les papillons.
Des planches polies par le temps et le passage répété de chaussures, des planches tout en longueur, des planches fixées côte à côte, constituent le plancher de la pièce. L’essence choisie est le chêne. Le rare curieux qui effleurerait ce plancher pour affoler ses sens esthétiques pourrait perdre le nord. Ce plancher pourrait effrayer les effraies puisque ce n’est qu’un vulgaire sol en vinyle, il faut noyer le poisson.
Un valet de trèfle, déguisé en valet de chambre passe ses journées du lundi à fermer la porte de la pièce. Une porte mystérieusement toujours ouverte. En face de la porte ouverte, séparée par un couloir, un couloir constitué de planches de chêne imitant le vinyle, une porte fermée atténue le dialogue courtois dit par un comte et une marquise. On remarque aussi des blanchisseuses qui entrent et sortent dans cette pièce-là. Une pièce que l’on pourrait résumer par un proverbe : « Il faut qu'une porte soit ouverte ou fermée ».
Le valet de trèfle, déguisé en valet de chambre passe son temps libre à ouvrir les volets de son imagination pour trouver la clef de sol, une clef qui, introduite dans le poste à galène posé sur la table à côté de la porte, permet d’écouter en boucle « aimer à en perdre la raison ».
Sur le montant de la porte ouverte, un interrupteur en porcelaine est fixé par deux vis rouillées par le temps. Le visiteur qui quitte la pièce, avant d’éteindre la lumière, aura le temps de mourir d’aimer en regardant une reproduction de « L’origine du monde », peinte par Courbet, placée bien en vue sur le bord de la table.
L'été de tous les dangers - Devoir de Lakevio No 130 - Incipit
Incipit
« Comme il faisait une chaleur de trente-trois degrés, le boulevard Bourdon se trouvait absolument désert. »
Me voilà à Paris. Le voyage en incipit n’est connu que des rêveurs et de quelques excentriques anglais, les rois du voyage depuis le Grand Tour jusqu’à nos jours. Voyager en incipit nous épargne les attentes interminables dans des aéroports bondés, paralysés par une pénurie de personnel et des grèves surprises ; l’incipit économise nos nerfs en évitant de voyager dans des voitures de chemin de fer remplies de touristes, de wagons à la climatisation absente alors qu’il fait une chaleur de trente-trois degrés sur le boulevard Bourdon.
Je n’ai pas revu la Ville lumière depuis 2017, c’était bien avant le port du masque dans les transports publics. Mimi mourait dans l’espace intersidéral dans ce luxueux paquebot de la Bastille, les chinois confondaient course à pied et visite, dans les salles du musée Picasso où se tenait une exposition thématique du peintre considéré comme l'un des fondateurs du cubisme, « 1932, année érotique », un foule immense, massée sur les Champs Élysées rendait un dernier hommage à Johnny comme ce lundi 1er juin 1885 lorsque le catafalque de Victor Hugo se fraya un chemin dans une foule de près de trois millions de personnes.
- Vous avez fait un bon voyage ?
- Un voyage rapide et confortable.
- Vous êtes venu comment ?
- En Flaubert !
- Le retour aussi ?
-Non, le retour se fera en Conan Doyle, les chutes du Reichenbach se trouvent à 43 kilomètres du petit village dans les montagnes.
« Élémentaire » fut la dernière parole que prononça l’Inconnu du Nord-Express avant de tourner les talons et de me laisser en plan au coin d’une rue. Un imposant parapluie bulgare ruisselant de pluie m’encombre. Il pleuvait quand je suis parti, à l’aube. Le Lombach rugissait au fond de la vallée, les eaux gonflées par les pluies. Un orage violent avait ponctué la nuit. Le seul inconvénient du voyage en incipit, c’est qu’il est impossible de dire quel temps il fait à Paris ce lundi matin 4 juillet 2022 à 08h29. L’esprit est à Paname mais la carcasse se traîne dans la cuisine pour tenter de confectionner un déjeuner (petit-déjeuner dans la capitale française). Il a cessé de pleuvoir. Des nuages passent aux flans des crêtes rocheuses. Un coq chante depuis un bon quart d’heure.
- Vous faites quoi à Paris ?
- J’ai un rendez-vous, un devoir à rendre, et quelques ratons laveurs à adopter.
- C’est où votre rendez-vous ?
Debout devant le zinc d’un bar tabac je converse avec « un grand plombier zingueur habillé en dimanche et pourtant c’est lundi. » Le gars m’abandonne en disparaissant dans le soleil. Le patron du bar ne croit pas une seconde que trois paysans viendront régler les consommations.
La cafetière italienne est sous pression et l’odeur du café se répand dans la cuisine ouverte sur le salon salle à manger et fini par réveiller mon fourmilier apprivoisé. C’est un descendant du fourmilier géant que Dali promenait dans les rues de Paris à la fin des années 1960. Les nuages s’évaporent peu à peu et de timides rayons de soleil réchauffent le petit village dans les montagnes.
Pour me déplacer dans Paris j’ai un plan envoyé par bélinographe. C’est le Goût qui depuis quelques années propose le devoir du lundi, avant c’était Lakevio. Mon premier devoir date du 6 mars 2016.
Je suis en perdition dans Paris avec un bélinogramme et des instructions concoctées par le Goût.
« Devoir de Lakevio No 130
C’est le dernier devoir de l’année.
Alors je me fais plaisir.
J’abandonne Montmartre pour les quais de la Seine.
Cette toile de John Salminen me plaît.
C’est une raison suffisante pour que je vous demande ce que vous pensez en voyant cette « boîte » de bouquiniste.
À moi elle évoque comme dit Françoise Hardy « Tant de belles choses ».
Et à vous ?
Peut-être ne serez-vous pas encore partis en vacances lundi. »
Je dois trouver une boîte de bouquiniste, peinte en automne, alors qu’il fait une chaleur de trente-trois degrés, sur le boulevard Bourdon. Dans mon souvenir, il n’y avait pas d’arbres entre les bouquinistes et la Seine, cette Seine chantée sur les scènes du monde entier par Piaf, Montand, Aznavour, Patachou, Trenet, Mireille Mathieu.
J’ai envoyé un pneumatique à Heure-Bleue pour obtenir quelques éclaircissements. En attendant une réponse à mon pneu, je fouille mes cartons de livres. Mes livres dispersés aux quatre points cardinaux sont enfin réunis dans ma cave. Il me reste à commander des bibliothèques à une entreprise suédoise de prêt à monter et de passer des journées entières à déchiffrer le mode d’emploi traduit de l’idiome d’August Strindberg en 23 langues par une intelligence artificielle. A l’évocation de Strindberg, je pense à « Mademoiselle Julie », que j’ai vu à la Comédie de Genève en novembre 1988. Une mise en scène de Matthias Langhoff qui a fait date. Une pièce que j’ai revue au théâtre de l’Athénée à Paris en janvier 1989 dans la même distribution. Cette production de la Comédie de Genève a triomphé sur toutes les scènes d’Europe. Au tréfond d’un carton, je trouve le livre que je cherchais, le seul que j’ai acheté dans une « boîte » de bouquiniste. C’est « Creezy » un roman de Félicien Marceau, prix Goncourt 1969. Cette histoire a été adaptée au cinéma sous le titre « La race des seigneurs ». Réalisé par Pierre Granier-Deferre le film est sorti le 10 avril 1974, une semaine après la mort de Georges Pompidou.
Heure Bleue ne répond pas. Elle est occupée à rédiger son devoir du lundi.
Françoise Hardy me donnera peut-être un indice. J’enclenche mon vieux lecteur à K7 et j’écoute « Tant de belles choses ».
J’ai glissé les pages manuscrites de mon devoir du lundi dans une grande enveloppe. J’ai jeté cette enveloppe dans la boîte aux lettres qui est adossée à l’agence postale, qui est aussi un tea-room, une boulangerie et un magasin de dépannage. A 18h15, le chauffeur du car postal videra la boîte et le lettre commencera un voyage qui la mènera dans différents centres de tri automatique. Elle arrivera du côté de Montmartre à 5h, quand Paris s’éveillera…
C’est le dernier devoir de la saison.
« La cloche a sonné, l’école est finie.
Donne-moi ta main et prends la mienne… »