Les mois d'hiver - « Le dehors et le dedans »
Ce n’est pas une fantasmagorie due à l’excès de doppios bus au Versa bar, la girafe qui fait le pied de grue sur les marches du théâtre de la Ville fédérale est habillée par un grand couturier de Paris.
Une chapka en peau de castor et une écharpe en vigogne réchauffent son cou interminable quand le mercure s'enfuit de son tube de verre.
Hommage à la géographie ancienne
Cartulaire de mon cœur
paroles du monde ancien
vieux mots usés et sages
qui pour un temps m'aviez fait compagnie
et si souvent porté secours
d'où me revenez-vous ce soir ?
bourdonnants, suspendus à mon cou
flammèches ou abeilles
sur l'étole du prélat défroqué
Mots du secret, du souci et de l'ombre
murmures, portée de rats, fourrure du souvenir
frileusement nichés sur mes genoux
que d'anxiété dans ces brillantes prunelles
qu'attendez-vous encore de moi?
voilà si longtemps que nous nous sommes quittés
Il fait noir dans la cuisine
un peu d'alcool brille au fond du verre
tu te tais alors qu'il faudrait que tu hurles
Judas des mots
et tu n'as pas fini de payer ton silence
Genève, hiver 1977
« Le dehors et le dedans »
Nicolas Bouvier
Les mois d'hiver - Au chaud, blotti dans un fauteuil club, sous une couverture, attendre le printemps
Un dernier regard sur novembre qui disparaît derrière l'Augstmatthorn
Novembre
Les grenades ouvertes qui saignent
sous une mince et pure couche de neige
le bleu des mosquées sous la neige
les camions rouillés sous la neige
les pintades blanches plus blanches encore
les longs murs roux
les voix perdues
cheminent à tâtons sous la neige
Toute la ville, jusqu’à l’énorme citadelle
S’envole dans le ciel moucheté
Tabriz, 1953
Nicolas Bouvier