137e devoir de Lakevio du Goût
La consigne :
Ce monsieur, peint par Jackie Knott semble…
Semble quoi ?
Il est d’un sérieux papal, soit.
Mais encore ?
J’espère qu’on en saura plus lundi, grâce à nos efforts communs pour lire sa pensée.
Fausse nouvelle
Deux allées en terre battue séparées par une plate-bande semée d’un gazon peu entretenu, une herbe folle partie à l’assaut d’une gouttière en cuivre, quelques plantes vertes dans des bacs en chêne des pierriers composent le décor d’un jardinet à l’esprit zen. Entouré de hauts bâtiments, un silence monacal s’échappe de cette oasis propice à l’introspection de l’âme. Un olivier crevotant et trois bancs complètent la scène. Les planches de ces bancs, couleur caca dauphin, sont fixées à des armatures en fer forgé terminées par des gueules de dragon.
Dans ce Gethsēmani d’un autre siècle, un oiseau picore la terre, méticuleusement, en quête d’une graine ou d’un ver. Curieux, comme tous les volatiles, son œil fixe une masse sombre sur un des bancs.
Si nous nous approchons de cette masse sombre, que l’oiseau tente de distinguer, nous verrons une silhouette humaine ; un homme assis sur un des bouts du banc du milieu. Jambes croisées, les mains occupées à tenir une liasse de feuillets, totalement immobile, il semble de marbre. Il pourrait avoir sa place dans le célèbre musée de cire de la ville.
Pantalon gris, chaussettes et chaussures noires, haut du corps enveloppé d’un imperméable gris-noir, il fixe ostensiblement ses feuillets. Une paire de lunettes montées sur deux cercles de fer forgé fixés à une paire de branches en chêne rouvre complète le portrait. Un chapeau mou, noir, cerclé d’un ruban de même couleur, rabattu sur les yeux, cache en partie le crâne rasé du lecteur statufié.
L’oiseau s’envole tenant dans son bec une branchette arrachée à l’olivier agonisant. Son plumage d’un blanc immaculé contraste avec la noirceur de l’homme assis sur le banc. La colombe regagne son colombier urbain. Le visage de l’homme n’a pas cillé.
Huit jours se sont écoulés depuis la lune des moissons et ces menus événements qui troublent la quiétude de ce jardinet.
Un léger déplacement d’air, provoqué par les pas rapides d’un inconnu qui se dirige vers la masse sombre, agite le feuillage rachitique de l’olivier. Il se penche et ses lèvres murmurent quelques mots à l’homme en noir. En relevant son buste, l’inconnu identifie sur la liasse de feuillets tenue fermement par ce qui semble être une personne déterminée, au visage dur et fermé, une graisse « Helvetica Neue 95 Black ». Ces caractères gras lui permettent de lire l’entête de la page : « Feuille de route ».
Sans montrer le moindre signe d’une émotion, le lecteur plie les feuillets en deux et les glissent dans une des poches de son imperméable. Il se lève et suit l’inconnu.
Un couloir obscur, une porte en chêne sessile sur laquelle est fixé un chiffre royal en fer forgé, l’homme en noir a retiré son chapeau en pénétrant sur une galerie en pierre. Cette galerie à trois mètres du sol située sur un des côtes d’une salle immense permet d’assister à un rituel qui marque la fin d’une époque.
L’homme en noir s’incline trois fois. Au milieu de cette salle, un cercueil en chêne d’Angleterre, drapé de l’étendard royal, repose sur un catafalque tendu de pourpre, entouré de chandeliers. La couronne d'État impériale posée sur un coussin violacé, le sceptre à la croix et l’orbe, ces regalia sont disposés sur le cercueil. Une couronne de fleurs blanches, mêlé de feuillage vert complète cette symbolique. Jour et nuit, des milliers de personnes défilent devant le catafalque pour rendre un dernier hommage à leur souveraine.
L’homme en noir disparaît dans une voiture grise. Assis à l’arrière de la berline sur un siège en cuir, il descend une tablette en chêne à trochets fixée au siège avant par un ingénieux système en fer forgé. Il y dépose la liasse de feuillets qu’il a retiré de sa poche.
Un oiseau, picore sur le tarmac d’un aéroport international, au pied d’un aéronef. Curieux, comme tous les volatiles, son œil fixe une masse sombre qui entre dans l’avion. Dans quelques minutes, cet avion, dans un bruit d’enfer, s’arrachera de la piste. Vladimir Vladimirovitch regagne les bords de la Moskova.