Cent septante-deuxième devoir du Goût de Lakevio
La consigne :
J’aime beaucoup cette toile de Van Gogh.
Je pense que vous aussi vous l’aimez.
Je suis sûr que vous avez quelque chose à en dire.
Ce serait bien si, en le disant vous y placiez ces dix mots :
Désert
Retraite
Solitude.
Automne
Réaction
Fauteuil
Épouse
Chagrin
Froid
Chemise
Bon, ce n’est qu’une suggestion mais ce serait vraiment chouette.
Désalpe
À 8 heures 49 minutes et 56 secondes, heure de la Ville fédérale, Phébus, d’un pas élastique, boude l’hémisphère nord pour réchauffer celui du sud. Huit heures 49 minutes et 56 secondes, heure calculée par l’Institut de mécanique céleste et de calcul des éphémérides (IMCCE), marque l’équinoxe d’automne, ce samedi 23 septembre.
Une information sans incidence sur le récit en cours, lue au hasard des notes égrenées par les agences de presse dit ceci : « Le Cartel Phœbus est un cartel, mis en place dans les années 1920 et 30, spécialisé dans la lampe à incandescence et connu pour être à l'origine de l'obsolescence programmée. »
Les brumes s’étirent, lentement se dispersent dans l’azur. Le petit village dans les montagnes sort de la torpeur estivale. Les troupeaux de vaches vont redescendre des alpages. Une affichette, placardée à la maison de commune (mairie dans le canton de Genève), indique jours et heures de ces transhumances, appelées désalpes.
L’épouse du fromager frappe à la porte d’un chalet situé aux confins du village. Un feu crépite dans la cheminée, le craquement des bûches, mangées par les flammes, est perceptible de l’extérieur. Elle frappe une seconde fois. N´entendant aucune réaction, elle pense que le vieux à l’esprit chagrin, ce matin. Elle dépose la commande, œufs et morceaux de fromage d’alpage au lait cru, sur le bord de la fenêtre de la cuisine. Elle quitte les lieux, elle a froid, sa marche est rapide. La solitude des villages ne convient pas à cette femme qui a grandi dans la frénésie zurichoise. Un fromager joueur de cor des Alpes avait séduit l’étudiante qu’elle était, trente ans se sont écoulés, elle livre des produits laitiers dans un village accroché à la montagne, à plus de 1000 mètres d’altitude.
Janosch, assis sur une chaise, à côté de la cheminée, en face d’un fauteuil usé par les siècles, vêtu de ses habits de semaine, gros souliers bruns, pantalon et chemise taillés dans une étoffe solide d’une couleur bleue tirant sur le gris. Les coudes posés sur les cuisses, il a la tête plongée dans ses poings. Une couronne de cheveux blancs, à la base d’un crâne chauve, se termine en barbe. Une barbe que le vieux Janosch taille le dimanche matin avant d’aller au culte.
Il rumine le vieux. Depuis qu’il est à la retraite il a l’impression que son cerveau est un désert.
Lundi matin, sur le coup de onze heure, alors que le premier troupeaux arrivera d’Habchegg et traversera le village, Janosch sera en ville.
Un fois de plus, il rendra une page blanche à sa séance d’atelier d’écriture, le 172e, tenu par le professeur Le Goût. Un professeur vraiment chouette !