Entre Le Landeron et Lignières, sur le sentier qui commence dans les vignes et s’achève dans la forêt, un élégant gentilhomme chemine. Vêtu d’un costume clair, coiffé d’un canotier, il porte un bouquet champêtre. Les abeilles ont adopté le tournesol, les bleuets ou les mufliers. Le va-et-vient des butineuses forme un long sillage derrière le bouquet qui lentement avance vers le village. Une sauterelle se repose sur la branche de chêne voisine de la sauge décorative avant de plonger dans l’inconnu forestier. Trois glands solidement tenus ne sont pas prêts de tomber sur le nez d’un dormeur rêvant de citrouille*.
Juste avant d’entrer dans la forêt, l’élégant gentilhomme avec une guêpe affamée à la boutonnière de son veston jette un regard sur le lac de Bienne. Un bateau accoste à Cerlier. Il cabotera jusqu’à la Ville de l’Avenir en passant par l’Ile St-Pierre.
Il fait très chaud. Aucun vent coulis n’agite les feuilles. On dit que les dernières garrigues viennent mourir ici, entre Le Landeron et La Neuveville. Si on ferme les yeux, on entend les cigales.
Le voyageur entre dans Lignières. Le village est silencieux. Les fontaines sont vides, muettes. L’eau manque, il n’a pas plu depuis longtemps.
Le gentilhomme entre dans une ferme « Au bas du village ». Le silence règne, personne dans les champs. Une porte-fenêtre ouverte laisse entendre des conversations dans le jardin. Le voyageur dépose le bouquet sur la table de la cuisine. Des figues cueillies le matin même à Beaulmes reposent sur un plat à gâteau couleur bleu nuit avec un liséré d’or. Elles sont arrivées dans un panier avec des pots de miel. L’endroit est un peu plus frais que les autres pièces. La machine à café est sous pression. Le gentilhomme tire une carte de visite de sa poche, arrache une plume à une oie qui passait, la taille en bec, trempe la plume dans l’encre de seiche et écrit : « Bon anniversaire ». Il signe « L’Eté, le bel été », avant que de s’évaporer en fumée bleue.
Lignières, ce 20 d’aoust de l’an de grâce 2011
*Référence au poème de La Fontaine "Le gland et la citrouille"
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LE GLAND ET LA CITROUILLE
Dieu fait bien ce qu’il fait. Sans en chercher la preuve
En tout cet Univers, et l’aller parcourant,
Dans les Citrouilles je la treuve.
Un villageois, considérant
Combien ce fruit est gros, et sa tige menue
A quoi songeait, dit-il, l’Auteur de tout cela ?
Il a bien mal placé cette Citrouille-là :
Hé parbleu, je l’aurais pendue
A l’un des chênes que voilà.
C’eût été justement l’affaire ;
Tel fruit, tel arbre, pour bien faire.
C’est dommage, Garo, que tu n’es point entré
Au conseil de celui que prêche ton Curé ;
Tout en eût été mieux ; car pourquoi par exemple
Le Gland, qui n’est pas gros comme mon petit doigt,
Ne pend-il pas en cet endroit ?
Dieu s’est mépris ; plus je contemple
Ces fruits ainsi placés, plus il semble à Garo
Que l’on a fait un quiproquo.
Cette réflexion embarrassant notre homme :
On ne dort point, dit-il, quand on a tant d’esprit.
Sous un chêne aussitôt il va prendre son somme.
Un gland tombe ; le nez du dormeur en pâtit.
II s’éveille ; et portant la main sur son visage,
Il trouve encor le Gland pris au poil du menton.
Son nez meurtri le force à changer de langage ;
Oh, oh, dit-il, je saigne ! et que serait-ce donc
S’il fût tombé de l’arbre une masse plus lourde,
Et que ce gland eût été gourde ?
Dieu ne l'a pas voulu : sans doute il et raison ;
J’en vois bien à présent la cause.
En louant Dieu de toute chose,
Garo retourne à la maison.
Jean de La Fontaine