Je connais depuis longtemps cette toile d’Andrew Wyeth.
Chaque fois me vient une série de questions.
Souvent les mêmes questions…
Cette jeune femme couchée dans l’’herbe, qu’y fait-elle ?
Tente-t-elle de fuir ?
Est-elle surveillée par une marâtre ?
Veut-elle atteindre ou fuir la maison qu’on aperçoit au loin ?
Et si oui, pourquoi ?
Et si non, pourquoi ?
Faites part de vos conjectures et je vous ferai part des miennes.
À lundi…
La nuit, le plateau courbe l’échine sous un vent impétueux et glacial qui empêche les arbres de pousser. L’herbe rase et jaunâtre semble ignorer les saisons. Le hameau, deux maisons et une ruine, recense deux âmes. Un registre dans un ministère très éloigné des réalités du terrain l’atteste.
« Ici, c’est ravitaillé par les corbeaux », avait prévenu l’agent immobilier à une grand-mère trainant à bout de bras sa petite-fille.
Les corbeaux devenus rares, on ne mangeait pas souvent. Les corps immobiles et de plus en plus décharnés attendaient la nuit, pour respirer un peu.
Les journées brûlantes, sous un ciel opalescent, dans un silence assourdissant, se passent à attendre le bruit du moteur de l’épicer ambulant. Journées interminables troublées par les gargouillis des estomacs affamés. L’attente pouvait durer des semaines. Un nuage de poussière aux confins du plateau annoncera une vague soupe de légumes agrémentée d’un bout de lard.
La grand-mère, assise devant la porte de la masure, vêtue d’une robe noire qui tombe en lambeaux, appuyée contre le chambranle, ressasse des souvenirs de plus en plus diffus en fixant le lointain. Sa mémoire fatiguée puise au hasard, « Ici, c’est ravitaillé par les corbeaux ».
Sa petite fille devenue adulte ne s’exprime que par borborygmes. Chaque jour, éternel recommencement, dans sa robe d’un rose effacé par le temps, elle rampe sur l’herbe rase et jaune en direction de la maison abandonnée plantée au bout du champ. La nuit interrompt l’aventure.
Les seules paroles de la petite-fille furent chuchotées, il y a si longtemps, à une fourmi égarée sur ce plateau inhospitalier,
« Je hais l’école, le travail ne m’inspire pas, je simule l’enfance, je suis le grain de sable dans le rouage de l’ordre établi ».
La nuit, des quintes de vent troublent le silence.