Nota bene: le vendredi, Lakevio publie sur son blog la reproduction d'une toile, d'un artiste connu ou moins connu. Cette peinture sert de guide pour une création littéraire. Le lundi, Lakevio donne sa version. Dans les commentaires, ceux qui proposent un texte indiquent l'adresse à laquelle leur prose peut être lue. Il est intéressant de lire ces textes, souvent cousins dans la trame mais tous avec leur caractère et leur style.Lakevio, c'est à cette adresse: (ICI)
Tracey Sylvester Harris
Votre histoire devra être "étoffée" autour de la phrase suivante :
"Ah ! qui n'a pas eu envie d'un pastis après un bain de mer pris en Méditerranée ne sait pas ce qu'est un bain de mer pris le matin en Méditerranée."
C'est Marguerite Duras qui nous le dit, dans Le marin de Gibraltar (1952).
Splash et Tchin, lundi !
LE BAIN, CARTE POSTALE
"Ah ! qui n'a pas eu envie d'un pastis après un bain de mer pris en Méditerranée ne sait pas ce qu'est un bain de mer pris le matin en Méditerranée."
Elle quitte quelques instants les pages du livre qu’elle lit. Cette image d’un pastis après un bain de mer s’insinue en elle. On est au coeur de l’été, d’un été sans fin. Ce dimanche de juillet, la température est basse. Dans son tube, le mercure indique 24 degrés centigrades. Les météorologues prédisent toutefois de fortes chaleurs pour la dernière semaine de juillet. Le ciel est chaotique en ce milieu d’après-midi. Les nuages, pressés de gagner le sud, là, où le temps dure longtemps, forment d’immenses bouchons qui masquent le soleil.
La lectrice, allongée sur une serviette de bain, reprend la lecture du roman qui donne envie de déguster un pastis. Elle a abandonné l’idée de se précipiter au restaurant de la plage. Ici, on carbure à la bière, une bière généralement insipide et bon marché.
Le long du chemin au bord de l’eau, un interminable chapelet de baigneurs se dirige ostensiblement en direction du camping. Ce cortège de chair blanche ou bronzée, véritable défilé de mode à la gloire du maillot de bain, « costume de bain », dans nos régions, germanisme oblige, ce morceau de tissus, savamment disposé, pour cacher ces choses que l’on ne saurait voir, « n’affecte en rien la lectrice plongée dans la lecture d’un roman de Marguerite Duras, « Le marin de Gibraltar ». Elle fait semblant de lire, elle rêve d’un pastis. L’évocation d’un 51, dans ce roman maritime, lui a mis l’anis à la bouche. N’y tenant plus, elle se précipite au restaurant de la plage. Dépitée devant le manque d’audace de la carte des vins et spiritueux, elle opte pour Le Negroni. Un cocktail composé à parts égales de 3 cl de gin, de Campari et de vermouth rouge, capable de faire oublier Marguerite. Après ces effluves alcooliques, la lectrice décide de prendre un bain. L’après-midi est presque écoulée, la belle lumière du soir s’est installée et les baigneurs se font rares. Elle prend le chemin du camping.
Comme tous les soirs, du haut du pont Monbijou, une foule nombreuse tente de voir la lectrice muée en nageuse. Dans une brasse élégante, elle se laisse porter par le courant. Ses longs cheveux noirs flottent dans l’eau verte.
Comme des milliers de baigneurs, elle perpétue la tradition bernoise de la descente l’Aar, depuis le camping jusqu’au Marzili.
A voir ici