Zibelemärit
John McKenzie
Nota Bene: le samedi, Lakevio publie sur son blog la reproduction d'une toile, d'un artiste connu ou moins connu. Cette peinture sert de guide pour une création littéraire. Le lundi, Lakevio donne sa version. Dans les commentaires, ceux qui proposent un texte indiquent l'adresse à laquelle leur prose peut être lue. Il est intéressant de lire ces textes, souvent cousins dans la trame mais tous avec leur caractère et leur style. Lakevio, c'est à cette adresse: www.lakevio.canalblog.com
ZIBELEMÄRIT
Une salve de cris de canards envahi la pièce. Le téléphone portable clignotait et indiquait 04H10. La bise qui s’était levée la veille, s’engouffrait dans la chambre par l’œil de bœuf entrouvert. Il faisait froid, nuit, et l’envie de se lever n’était pas au rendez-vous. Il se retourna dans le lit bien chaud et renonça à quitter la couette. C’était son jour de congé. Sur la table de chevet un agenda était ouvert à la page du 28 novembre. Une note, laconique, écrite à l'encre bleue royale, indiquait: Zibelemärit.
Les minutes passaient. Le silence régnait, troublé par intermittence par les rafales de bise.
Soudain, il se leva. Un appel irrésistible l’avait saisi, il fallait y aller. Il s'habilla chaudement et sorti. Il enfourcha sa bicyclette et, à grands coups dans le pédalier, se dirigea vers la gare. La bise le tirait peu à peu du sommeil. La pendule de la gare marquait cinq heures dix, quand il gara son vélo. Il y avait déjà foule dans le centre-ville. Le quatrième lundi de novembre, se tient, dans la Ville fédérale, le "Zibelemärit" (marché aux oignons). Les Bernois aiment y aller avant de partir pour leur travail. À partir de quatre heures, on boit du vin chaud, mange des tartes ou des soupes à l'oignon, les enfants font des batailles de confettis. Les stands, éclairés au siècle passé par de petits lumignons ou des bougies, proposent des tonnes d'oignons. De nos jours, l'éclairage électrique permet aux visiteurs matinaux de photographier l'oignon sous toutes ses coutures.
Il se dirigea vers la Place fédérale. Il n'était pas venu depuis plusieurs années. Il marchait comme un automate. Il semblait ne rien voir de la fête. Il s'engagea dans une petite rue qui permettait de gagner le centre. Il s'arrêta. Devant lui, une rue qu'il ne connaissait pas. Il s'avança. Les maisons étaient délabrées. Sur une plainte en bois il pouvait lire ÉPICERIE. Des planches de bois en cachait l'accès. La rue baignait dans la grisaille. Le silence était total. Il se dirigea vers l'épicerie, tourna à gauche et se perdit dans un labyrinthe de ruelles. Tout semblait abandonné. Son cœur battait la chamade. L’architecture ne ressemblait pas à celle de la Ville fédérale. Il n'y avait pas de quartier abandonné dans la capitale. Une ombre disparut au détour d'une rue. Il hâta le pas dans l'espoir de rencontrer quelqu’un. Dans ce décor figé, il n’y avait pas âme qui vive. Il se sentait oppressé. Il voulut fuir, mais il ne reconnaissait rien, c'était un dédale de ruelles baignant dans une lumière grise. Il remarqua une flèche tracée à la craie rouge, il suivit la direction indiquée. Il lui sembla avoir senti un souffle. Il devait être près de la sortie. Un cri retenti. Il se retourna. Une lueur vacillait à l'étage d'un immeuble. Il hésita, entra dans la maison. Tout était abandonné, à moitié en ruine, désert, mais il ne voyait pas une trace de poussière. Seule une commode meublait la pièce. Une lueur jaunâtre éclairait une tache blanche. Il s'approcha. C’était une enveloppe. Il sursauta. Un léger souffle avait soulevé l'enveloppe. Instinctivement, il saisit la missive et la fourra dans la poche de sa veste. La lueur s'estompa. Il sortit rapidement de la maison. Une panique le saisi. Il fallait qu'il sorte. Il se mit à courir. Tout se ressemblait, impossible de savoir quel chemin suivre. Il était en sueur. Un éclair violent, l'espace d'une seconde éclaira un coin de rue qui lui était familier. Il se retrouva dans la rue qu'il avait quittée tout à l'heure. Il s'appuya contre le mur. Un gamin le bouscula. Il sentit que le chenapan se saisissait de l'enveloppe. Il tenta de le rattraper, mais ce fut plus qu'une ombre qui agitait l'enveloppe. Puis tout disparu. Il se massa la nuque. Il consulta son téléphone pour savoir l'heure. En fond d'écran, il y avait un tableau représentant une rue abandonnée. Sur la devanture de ce qui avait du être une épicerie, quelques mots étaient tracés à la craie rouge : MERCI DE NOUS AVOIR AIDÉS.