Les sans-têtes
Nota bene: le vendredi, Lakevio publie sur son blog la reproduction d'une toile, d'un artiste connu ou moins connu. Cette peinture sert de guide pour une création littéraire. Le lundi, Lakevio donne sa version. Dans les commentaires, ceux qui proposent un texte indiquent l'adresse à laquelle leur prose peut être lue. Il est intéressant de lire ces textes, souvent cousins dans la trame mais tous avec leur caractère et leur style.Lakevio, c'est à cette adresse: (ICI)
Les dix ...
Sans-têtes
Karin Jurick
Sur ce que vous inspire la toile de Karin Jurick, vous voudrez bien placer les dix mots suivants dans votre texte en les soulignant ou surlignant. pour mieux les repérer.
complémentaire
epoustouflant
respirait
baignade
tortionnaire
chanteur
juger
aberrant
pénitencier
profitera
A vos claviers. Retour lundi. Mais n'en perdez pas la tête !
La salle, vaste, avec une hauteur sous plafond de plus de quatre mètres, n‘avait pas de nom, contrairement à toutes les salles et bureaux de l‘établissement. Elle ne portait pas de numéro et aucun horaire des consultations n‘était visible. La seule fantaisie, dans ce lieu austère, était un petit autocollant fixé sur la chambranle de la porte. On pouvait lire "BAIGNADE interdite“.
Les murs de la salle, noirs, étaient percés de deux fenêtres. Le sol et le plafond, jaune sable, faisaient comme un coin de désert. L‘endroit RESPIRAIT le propre avec une vague odeur de désinfectant. Des bancs, alignés dans la largeur, étaient, pour l‘instant, inoccupés. Au-dessus se balançaient des câbles.
Au fond de la salle un imposant écran plasma diffusait le tirage du numéro COMPLÉMENTAIRE de la loterie nationale. Un fondu enchaîné fit apparaître un CHANTEUR qui se lança dans une reprise "des portes du PÉNITENCIER“, une chanson qui avait, jadis, fait chauffer les saphirs. C‘était au siècle passé, à l‘époque du yéyé. La voix peu assurée de ce chanteur d‘opérette rendait le numéro, à en JUGER, par la passivité du public de ce télé-crochet, peu ÉPOUSTOUFLANT. Un TORTIONNAIRE n’aurait pas mieux réussi pour arracher un aveu ABERRANT de la bouche d’un réfractaire au régime autoritaire mis en place par une junte militaire.
Sur un des bancs, quelqu’un avait gravé, au moyen d’un couteau de poche, “à qui PROFITERA le crime?”
Les premiers patients arrivèrent. C’était un couple de retraités. Ils portaient des tenues estivales, dans les tons ciel. Elle et lui tenaient précieusement un sac de jute. Ils contenaient leur fil de vie, encodé sur des disque durs. Aussitôt assis, des infirmiers se précipitèrent pour s’occuper d’eux. Cette salle, sans nom, austère et indiquée nulle part dans l’établissement, accueillait les sans-têtes. Ils venaient ici, trois fois par semaine pour une dialyse de l’âme. Les infirmiers branchaient les câbles qui se balançaient au-dessus des bancs sur le reste de leur tête. Ils glissaient ensuite les disques durs, qui se trouvaient dans les sacs de jute, dans des lecteurs de puissants ordinateurs et les patients revivaient leur souvenirs. Officiellement, cette étrange maladie, qui efface peu à peu la tête n’existe pas. La médecine, impuissante, est dans le déni. Peu à peu, la tête s’efface. Il n’y a pas de guérison et l’effacement est plus ou moins rapide. La dialyse de l’âme est la seule parade.
Bientôt, la salle est pleine et l’on peut observer le ballet-pantomime des infirmiers. Ils connectent les sans-têtes à leur bride de souvenirs.
Par l’une des fenêtres de la salle, on voit le printemps qui démarrent. Dans un pré, un troupeau de vaches est couché sous les arbres. On les imagine ruminer. Elles n’ont pas de têtes.
Jeanne Moreau - Peuplades