"Rappelle-toi Barbara
Il pleuvait sans cesse sur Brest ce jour-là"
Un haut-parleur planté sur la place diffusait, dans un grésillement, une annonce presque inaudible : -La jeune fille qui est ravie, ruisselante, épanouie sous la pluie est priée de ne pas s'éloigner de la file des parapluies. Merci.
-Qui se souvient de Barbara ? Et puis il y a tellement de Barbara.
-Je crois que Georges sortait avec une Barbara, dans les années 1950, du côté de Brest.
Il pleuvait sans cesse, et, rue de Siam, c'était un océan de parapluie.
Soudain, un cri dans la foule : -Barbara.
-Georges sortait avec Barbara. Et tu ne m'a rien dit !
-C'était avant-guerre. Ça a commencé rue de Siam.
Un chat des villes, d'une voix de ténor déclamait des vers : -Quelle connerie la guerre.
-Et ils se sont revus ?
-Qui ?
-Georges et Barbara
Il pleuvait, le bateau d’Ouessant lança un coup de sirène, puis Barbara embarqua.
-Quelle connerie la guerre, reprenait en cœur une famille de souris.
-Je crois que la guerre les a séparés.
-Et Georges...
-Il est mort en avril 1974. Il était gravement malade.
-Et sa femme ?
-Claude, elle a été veuve plus de 30 ans. Elle est morte, je crois en été 2007.
Le haut-parleur hurla : -Je rappelle à Barbara de regagner immédiatement la file des parapluies. C'est intolérable d'être ravie, épanouie, ruisselante sous la pluie.
Un juron s'échappa d'une fenêtre ouverte : -Tonnerre de Brest !
-Voyons, capitaine, voyons... S'indigna un petit homme à barbichette.
Il pleuvait sans cesse ce jour-là.
Rue de Siam, sous un porche, une jeune femme donnait le sein à sa petite Barbara.
Des avions s'approchaient, déluge de feu et de sang...
"Rappelle-toi Barbara
Il pleuvait sans cesse sur Brest ce jour-là".